Si l’on en croit Thomas Neyhousser, administrateur­ de la scène nationale du Carré-Colonnes, à Saint-Médard-en-Jalles (33), une ville en périphérie de Bordeaux, l’entretien d’embauche de Barbara Joly a été « la première entrevue professionnelle qu’il faisait passer dans une prairie en friche ». Il faut dire que ce n’est pas tous les jours qu’un site culturel embauche… une maraîchère !

Dès le départ, l’histoire est peu banale. Au tout début du printemps 2021, en plein confinement en raison de la Covid-19, la Scène nationale du Carré-Colonnes et une compagnie, Opéra Pagaï, ressentent « la nécessité de recréer du lien, de partager différemment ». Il faut dire que la pandémie frappe durement le monde de la scène, les lieux de culture étant restés fermés de longs mois. En réponse à la situation générale, les protagonistes « décident d’inviter les passants à semer – s’aimer – de nouveau. Les artistes imaginent une scénographie alternative pour partir à la rencontre des habitants sur la place de Saint-Médard, située juste devant le théâtre. Ces derniers sont invités à semer des fleurs et des légumes dans des petits pots de terre ».

Leur objectif principal : recréer du lien. « Nous leur avons demandé d’écrire leurs noms sur les pots que nous avions installés dans le hall du Carré, transformé pour l’occasion en serre à semis. S’ils ne pouvaient se rendre au théâtre, fermé à cause de la pandémie, leurs semis, eux, le pouvaient ! » se remémore un artiste impliqué dans le projet. À partir de cette période, chaque pot hor­ticole symbolise la présence d’un habitant, son « double végétal » et « le retour du vivant au sein même du théâtre ».

Les plantes, de spectatrices en herbe à actrices d’un « Jardin secret »

Deux mois plus tard, les plantes s’étiolent et, surtout, le confinement prend fin. Celles-ci doivent donc quitter le théâtre. Un arrangement est passé avec la municipalité pour investir un terrain de 1 500 m2 sur lequel sont installés les semis. Le lieu se transforme alors en « Jardin secret », un lieu d’échange, de partage…

Mais les artistes ne sont pas tous maraîchers, loin s’en faut, en témoignent les animateurs qui régulièrement informent les habitants de la ville et autres personnes qui fréquentent le théâtre sur l’évolution du jardin par le biais de la « newslaitue »* créée pour l’occasion. Alice est ainsi « obligée de taper tous les textes avec un seul doigt, les autres étant inutilisables, perclus d’ampoules après deux jours de binage intensif » et Lucille constate avec fatalisme « que du terreau s’est introduit dans [s]on ordinateur et bloque définitivement la touche “$” »…

La question de trouver une personne à même de s’occuper du site est alors posée, toujours dans la newslaitue. Barbara Joly, qui est arrivée en France depuis l’île de La Réunion il y a quinze ans et a passé un BPA pour opérer une reconversion en maraîchage, est intéressée. Son entretien « dans une prairie en friche » sera concluant. Elle s’occupe désormais du Jardin secret, après avoir été à son compte, en particulier en Vendée, dans un terrain d’une surface de 1,7 ha à La Roche-sur-Yon. Elle apprend le maniement­ de la grelinette et de la serfouette à l’équipe du Carré-Colonnes afin de préparer les zones de culture, par exemple.

Pour célébrer le premier anniversaire de son Jardin secret, en avril de cette année, la Scène nationale a coconstruit avec Opéra Pagaï une semaine autour du retour du printemps : ateliers de semis animés par Barbara la maraîchère et les « mu­siciens-jardiniers » ; découverte de la réalisation de sculptures en bambou par les scénographes et les plasticiens de la compagnie ; excursions mysté­rieuses en forêt animées par des comédiens. De quoi donner à Barbara l’envie de devenir elle aussi comédienne ? L’avenir le dira !

Pascal Fayolle

*Les « newslaitues » sont en ligne sur le site Internet de Carré­-Colonnes (www.carrecolonnes.fr).