Les pépinières Lemonnier savent se placer parmi les précurseurs. Après l'invention du Starpot® par exemple, ou l'emploi des godets forestiers de forme allongée pour un meilleur enracinement des jeunes plants ligneux, Samuel Lemonnier, leur dirigeant, a été un des premiers à s'intéresser au label Végétal local en 2014. « Il est important d'avoir une vision, avec des projets et une stratégie », explique t-il. Ainsi le quadragénaire, ingénieur des arts et métiers, maintient le cap, en se fixant des objectifs, à court, moyen mais aussi long terme, et en se reposant sur les points forts de l'entreprise, historiquement spécialisée dans la production de jeunes plants forestiers.

> Une traçabilité à différents niveaux. De par sa spécialisation en foresterie, l'entreprise possède une solide expérience dans le suivi de ses productions. « La traçabilité, c'est notre métier. » En effet, la réglementation définit des régions de provenance pour les essences forestières, afin de garantir une qualité optimale de chaque espèce (génétique, adaptation au climat et au sol, résistance à un parasite...). Elle impose ainsi quatre couleurs d'étiquette selon la catégorie du matériel forestier de reproduction (MFR) commercialisé (identifié, sélectionné, qualifié, testé). Fort de cette expérience, la pépinière propose également une gamme issue de sources identifiées de graines bocagères. Et elle a fourni, entre 2012 à 2015, la ligne à grande vitesse LGV Tours Bordeaux avec des végétaux locaux. En outre, l'entreprise a fait partie, en 2015, des onze premiers candidats à bénéficier du droit d'exploiter le label Végétal local (1), qui « permet de conserver la diversité et les caractéristiques génétiques acquises localement par la flore sauvage ». Elle va proposer cette année à son catalogue 6 espèces ligneuses labellisées issues de différentes zones biogéographiques (2) : érable champêtre, érable de Montpellier (34), cornouiller sanguin, épine blanche, fusain d'Europe, genévrier commun. Elle travaille avec des marchands grainiers, prépare les graines, contrôle leur germination et la production des plants. Rappelons que le label définit onze zones de provenance des graines (puis d'utilisation des végétaux labellisés). « Ce qui est beaucoup pour certaines essences », remarque toutefois Samuel Lemonnier.

> « Aujourd'hui, il faut se différencier. » Outre les divers niveaux de traçabilité, la pépinière a su imposer une image d'entreprise innovante très tôt grâce notamment à l'invention du Starpot®, qu'elle a breveté. Ce contenant a été inventé pour le marché du paysage, demandeur d'arbres de plus grande taille. En effet, pour faire face à la diminution des plantations forestières, la pépinière s'est tournée vers les collectivités : « La diversification nous a permis de nous stabiliser. » Le Starpot® évite les déformations racinaires grâce au cernage aérien (3) et favorise une bonne reprise dès la première année de plantation. Son volume de 7 litres convient pour des tailles intermédiaires (ébauche d'arbre, baliveau), des sujets de 2 à 4 ans depuis la graine, atteignant des hauteurs de 1,5 à 2 mètres. Sa forme évasée est adaptée au chevelu racinaire et permet d'avoir le même volume utile tout en économisant 40 % de substrat : 7 litres, contre 12 pour un conteneur classique. Sa forme conique facilite également la plantation : la terre tombe naturellement sur la motte de l'ébauche d'arbre plus étroite en haut, ce qui évite la formation d'une bulle d'air sous le végétal. La pépinière assure désormais la traçabilité depuis la graine à ses plantes produites en Starpot®.

> Avoir toujours un projet d'avance pourrait être la devise de la pépinière qui travaille avec l'Institut national de recherche agronomique (Inra) sur la sélection d'essences. Samuel Lemonnier se fixe comme objectif de faire évoluer son verger à graines de frêne (la pépinière a été une des premières à mettre en place un verger à graines de feuillus en 1990) pour identifier des arbres résistants à la chalarose et observer la résistance de leur descendance. « Ce sont des études sur de longues durées de 5 à 20 ans ! » La réflexion sur l'adaptation des végétaux au changement climatique amène le pépiniériste à s'interroger sur la stratégie à adopter lors des plantations. Ainsi, il fait remarquer que l'aire naturelle du hêtre se déplace vers le nord ; dans 50 ans, il sera moins présent en Normandie. « On constate déjà aujourd'hui, notamment dans le Sud, que sur certaines stations le chêne pédonculé n'est plus adapté et qu'il pourrait être remplacé par le chêne rouvre. Or, lorsqu'une espèce n'est plus adaptée à sa station, elle est moins résistante, souffre de différentes maladies et dépérit... Ce peut être dû au changement climatique ou directement à la plantation d'une essence inappropriée pour le site. La mondialisation apporte également son lot de nouveaux pathogènes (chalarose, Xylella...). » Dans le cadre des MFR ou du label Végétal local, des zones géographiques de provenance ont été déterminées. Avec les évolutions climatiques à venir, Samuel Lemonnier se demande quelle sera leur pertinence et leur évolution possible. Pour le producteur, la stratégie serait de ne rien exclure, de diversifier les essences, car les plantations d'arbres que nous réalisons aujourd'hui devront s'adapter au climat de 2080. Malgré la diminution du nombre de producteurs forestiers ces quinze dernières années, du fait de la baisse des plantations, le pépiniériste voit de belles perspectives pour son métier, avec des évolutions possibles pour les essences destinées à la construction ou la biomasse énergie.

(1) Voir le Lien horticole n° 1007,Plante locale : des défis à relever, pp. 12-13, et n° 1009, Les incertitudesde la végétalisation durable, p. 4.