Longtemps perçues comme marginales ou cantonnées aux milieux naturels, les espèces envahissantes et les ravageurs émergents sont aujourd’hui au cœur des préoccupations des gestionnaires d’espaces verts et des professionnels du végétal.
Leur prolifération rapide provoque une concurrence avec la flore locale, l’altération des sols, et la perte de biodiversité. 60 % des extinctions recensées dans le monde sont directement ou en partie dues aux espèces envahissantes. L’impact économique est réel : en Europe, la gestion des invasions et des réparations qu’elles causent coûte plus de 12,5 milliards d’euros par an.
Une problématique complexe à impacts multiples
Parfois même, elles causent des impacts directs sur la santé humaine, comme l’ambroisie et son pollen très allergène, ou la berce du Caucase et ses brûlures. Et cela ne va pas aller en s’améliorant. Avec l’accélération du changement climatique, la problématique des espèces envahissantes risque de s’intensifier. Des plantes actuellement marginales pourraient devenir dominantes. D’autres, déjà problématiques, pourraient voir leur aire de répartition s’étendre rapidement.
Longtemps, la notion d’espèce envahissante a été principalement associée à des plantes exotiques introduites volontairement ou accidentellement hors de leur aire de répartition naturelle. Aujourd’hui, la réalité est plus complexe. Certaines espèces indigènes peuvent, elles aussi, devenir envahissantes. « Bien souvent, avant de devenir des plantes envahissantes, elles étaient des plantes horticoles comme la berce ou l’herbe de la Pampa appréciée pour la décoration », souligne Lucile Quenard, chargée des espèces invasives à la Fredon Centre Val de Loire, qui est intervenue sur ce thème, lors des portes ouvertes du CDHRC (Comité de développement horticole de la Région Centre-Val de Loire), le 19 septembre.
Un développement en milieu dégradé
Une plante envahissante peut devenir résistante aux produits phytosanitaires, s’adapter très rapidement au milieu, avec une fertilité élevée. Ce type d’espèces se dissémine principalement dans des milieux dégradés. « C’est important à rappeler, ajoute Lucile Quenard. Si le milieu est fermé ou stable, il y a très peu de chance pour qu’elles se développent. »
Un changement dans la disponibilité en eau, en température ou dans l’usage des sols suffit à faire basculer une espèce d’un statut anodin à celui de colonisatrice problématique. Le souchet comestible, par exemple, est arrivé en Loir-et-Cher, entre les rangs des cultures d’asperge, après de fortes inondations. Cette notion s’applique aussi aux ravageurs, bien présents en horticulture, comme le souligne Coralie Petitjean, conseillère au CDHRC. « On croit nos productions éloignées de ces espèces, mais non ! Dans les pots des plantes, il est possible d’observer des fourmis invasives ou des plathelminthes, ces vers plats qui mangent les vers de terre. »
Malgré ces risques, peu de personnes connaissent ces espèces opportunistes. Une récente étude Kantar pour Val’Hor et FranceAgriMer révèle que 52 % des Français n'ont jamais entendu parler de plante exotique envahissante. Seuls 17 % citent ces espèces comme cause majeure du déclin de la biodiversité. Le besoin d’informer, de prévenir et d’agir collectivement est urgent. Lucile Quenard conseille aux professionnels de mettre en place une veille pour se tenir au courant des modifications de la réglementation. « Généralement, l’horticulteur ne produit plus ces plantes, donc il ne dispense pas de conseils aux consommateurs sur ce thème. Mais il peut en voir sur son terrain. »
Différentes listes de plantes envahissantes
La réglementation sur ces espèces est complexe.
Il existe d’abord une liste européenne des espèces exotiques envahissantes, 49 en septembre 2025, en application du règlement n° 1143/2014 du 22 octobre 2014.
Au niveau national, la liste des plantes les plus préoccupantes (art. L.411-6 du code de l’environnement) interdit leur transport, leur commerce ou leur détention. C’est par exemple le cas de la crassule de Helms, la jussie rampante, la myriophylle du Brésil, l’hydrocotyle fausse-renoncule, l’élodée à feuilles étroites, l’ailante glanduleux ou encore l’herbe de la pampa. Ainsi, la détention ou la vente de cette dernière (Cortaderia selloana) est punie de 150 000 euros d’amende et de trois ans d’emprisonnement (article L 415-3 du code de l'environnement). « Ces chiffres sont très élevés, ils servent surtout à faire peur. Une entreprise qui commercialisait de l’herbe de la pampa a quand même écopé de 7 500 € d’amende », indique Olivier Yzebe, chargé de R&D au CDHRC. Cette herbe n’est pas interdite en Europe. On en trouve facilement en Italie, ce qui interroge sur les barrières invasives. Pour les espèces moins dangereuses, la loi prévoit l’interdiction de leur introduction dans le milieu naturel (art. L.411-5 du Code de l’environnement), en particulier lorsque l’on jette des déchets végétaux dans la nature. Ces listes sont mises à jour régulièrement par les conservatoires botaniques dans chaque région pédoclimatique, en lien avec le ministère de l’Agriculture.
Un autre code réglemente également ces plantes, celui de la santé. C’est le cas pour l’ambroisie à feuilles d'armoise ou des chenilles processionnaires.
Une filière de production impliquée
Malgré ces réglementations, il existe un flou juridique, comme l’indique Coralie Petitjean, conseillère au CDHRC. « Il est interdit de vendre ou de produire ces espèces. Mais lorsque l’on a des plathelminthes dans un lot, on vend des plantes, pas des vers ! » Ajoutons que si un lot doit être détruit, le producteur ne touche aucune indemnité. Ce qui ne pousse pas à déclarer l’invasion…
Pourtant, depuis 2015, la profession horticole s’est également emparée du problème. Valhor, l’interprofession, propose un code de conduite afin que les professionnels s’engagent à limiter les impacts négatifs. Elle propose deux listes, une liste des plantes interdites et une des plantes soumises à recommandations, comme l’érable negundo, le buddleia, le faux-indigo, la Phyla… « C’est une démarche volontaire de l’entreprise. Elle prend l’engagement de ne pas commercer ces plantes et s'engage à préconiser des alternatives », souligne Marie-Angélique Baralle, chef de projet innovation à Valhor, qui sensibilise les professionnels.
Gérer ces espèces envahissantes
Comment faire face à ces plantes invasives ? En cas de repérage, la Fredon recommande d’intervenir le plus précocement possible, afin d’éviter que la population ne s’étende. Pour les espèces à fleurs, intervenir avant la période de floraison. Pour des petites surfaces, préférer les techniques d’arrachage manuel, plus efficaces et plus précises. En cas d’interventions mécaniques, prévoir une finition manuelle. Pour les milieux aquatiques ouverts, contenir la zone d’intervention (par la pose de doubles filets notamment) afin d’éviter toute fuite vers l’aval. Nettoyer systématiquement tout le matériel d’intervention, qu’il s’agisse du petit matériel (gants, bottes, râteaux…) ou d’engins mécaniques (tracteurs, pelles mécaniques…). Enfin, veiller à ne pas disséminer de fragments de plantes lors du stockage et de l’élimination de ces déchets verts.
A grande échelle, certaines plantes sont tellement envahissantes que la production n’est plus possible. C’est le cas du souchet comestible avec les asperges en Loir-et-Cher. Des essais de binage en continu, de bâches noires en inter-rang et de traitement thermique ont été testés. « Il faut au moins combiner deux modalités pour venir à bout du souchet, indique Laurent Lejars, chef d’équipe des productions spécialisées à la chambre d’agriculture du Loiret. Le binage nécessite une dizaine de passages. Ce n’est pas possible au niveau main-d’œuvre et au niveau économique. »
Le CDHR Centre teste des moyens pour contrer les cicadelles via le projet Cica’oust. Après l’identification de différentes espèces de cicadelles sur plusieurs végétaux (Empoasca sp., Eupteryx sp., Zyginidia sp., Erythroneura sp. et Typhlocyba sp.), des solutions à base d’huile essentielle, de champignons pathogènes ou des plantes pièges vont être testées.
Autre alternative, retourner les inconvénients en opportunités. Le potentiel de valorisation de la jussie a été clairement établi. Une importante biomasse est disponible et sa récolte limiterait sa propagation et ainsi rétablirait un écosystème végétal en péril. Les extraits de fleurs et feuilles contiennent une forte activité anti-oxydante qui pourraient ainsi trouver de l’intérêt dans plusieurs secteurs industriels tels que la cosmétique, les compléments alimentaires ou la nutrition animale.
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