Quel sera l’avenir pour les nouveaux usages industriels des végétaux ? Thierry Stadler a brossé un panorama étendu de réalités et perspectives en introduction des journées biennales de l’institut technique horticole Astredhor, au Forum du Casino de Hyères (83), le 5 février 2020. Au titre de président d’honneur du pôle de compétitivité IAR (Industries & agroressources https://www.iar-pole.com/), après en avoir été président et directeur général, il est un observateur averti des innovations en gestation dans le monde entier, dans toutes les filières, en particulier pour tout ce qui concerne les diverses sources de biomasse.
Thierry Stadler a illustré son propos avec des exemples de plantes en cultures agricoles (lire l’encadré), où les travaux sont les plus anciens et les plus nombreux. Il a toutefois abordé les plantes « horticoles », en fait surtout maraîchères. Il a d’emblée précisé : « Les grands projets ont, à l’origine, porté plutôt sur les grandes cultures pour des marchés qui avaient trouvé des potentiels de valorisation portant sur de gros volumes de production. L’horticulture, quant à elle, n’en est réellement qu’à ses débuts, souvent encore pour des marchés que l’on peut considérer “de niche”. Même si des applications existent depuis longtemps avec des végétaux et leurs propriétés utiles à la pharmacopée ou à la cosmétique, sans oublier la parapharmacie et le médical. Ou encore dans les compléments et additifs alimentaires (colorants, antioxydants). L’horticulture peut parfaitement s’y positionner quand les industriels cherchent des produits plus calibrés, lorsque les process exigent des conditions de culture mieux maîtrisées. »
L’intervenant rappelle également la tendance du « clean label », qui influence la chaîne de transformation dans les produits cuisinés, les règlementations et les consommateurs ne souhaitant plus de conservateurs ni d’additifs. Elle s’attache à des process moins technologiques et à une qualité sanitaire et intrinsèque supérieure dès l’amont de la chaîne de production. L’horticulture a des cartes à jouer, estime-t-il.
Concrètement, les travaux de recherche se rapportent souvent aux biomolécules, à leurs principes actifs, aux métabolismes secondaires… mais il ne faut pas oublier la valorisation des coproduits ou des sous-produits (pépins, peaux, tiges…). Il s’agit de bien raisonner le travail – en cascade – pour assurer une meilleure rentabilité le long de toute la chaîne, car les bioproduits restent onéreux à produire, à extraire, à transformer.
Des alternatives aux insecticides
Dans le secteur horticole, Thierry Stadler évoque les sujets de recherche, notamment dans les plantes maraîchères, qui restent les plus prisées. En précisant : « De très nombreux essais sont en cours, mais tous ne vont pas aboutir sur des produits commercialisables. » Tel est le principe de l’innovation.
L’ail noir contient un antioxydant intéressant contre le cholestérol et qui améliore la fonction cardiaque. Des chercheurs de l’Institut Weizmann, en Israël, ont trouvé des alternatives aux insecticides à partir de l’allicine : il est possible de lutter contre mouches, fourmis ou divers nuisibles des cultures fruitières.
Les pelures d’oignon sont exportées de longue date pour le curry en Inde. Récemment, la firme Naturex a lancé Xtrablend OA, à base d’acérola (acide ascorbique) et d’oignon (polyphénols) en tant que puissant antioxydant. Il permet notamment d’éviter les changements de couleur dans les préparations alimentaires et les produits frais sans en altérer le goût.
Les tomates, déjà grandes alliées des bio-industries
Les tomates se taillent déjà une belle part dans les nouveaux débouchés potentiels, dans de nombreux domaines.
Des chercheurs britanniques (John Innes Centre) ont trouvé comment produire de façon industrielle des composés naturels bénéfiques pour la santé via la culture de tomates. Le resvératrol donne un antioxydant très intéressant pour le vin. Associé à la génistéine (habituellement issue du soja, mais ici captée dans la tomate), on peut agir en prévention de cancers dus aux hormones stéroïdiennes.
Natural Sourcing utilise l’huile de pépins de tomates pour ses nombreux acides gras essentiels. Elle est riche en lycopène et phytostérols aux propriétés antioxydantes, dont en cosmétique, pour la peau.
Des chercheurs de l’institut de biologie moléculaire et cellulaire (IBMCP), en Espagne, ont découvert un antioxydant, le feruloyl noradrénaline (FNA), que l’on peut obtenir sur des tomates en conditions stressantes de culture. Le résultat : une propriété estimée quatre à cinq fois plus puissante que la vitamine E, dix fois plus que la vitamine C ou même quatorze fois plus que le resvératrol précité. C’est également un potentiel conservateur, ralentisseur du rancissement des graisses comme des huiles.
Un accord a été signé entre le constructeur automobile Ford et le fabricant de ketchup Heinz. Ils ont étudié l’intégration de sous-produits de la tomate dans des composites, dont des peaux de fruits séchées, en tant que support de câblages, ou même pour des consoles de rangement dans les véhicules.
Le projet européen Biocopac développe une nouvelle laque biologique alternative pour l’intérieur des boîtes de conserve : la biorésine est une cutine hydrofuge cireuse particulièrement bien adaptée.
En Espagne, le centre des techniques du plastique (Andaltec) ainsi que l’institut des sciences des matériaux (CSIC) de Séville travaillent sur un projet industriel de bioplastiques à partir de déchets de tomates. Des chercheurs de l’Université de l’Ohio, aux États-Unis, ont découvert que les pelures de tomates peuvent remplacer partiellement les produits à base de pétrole dans les pneus, qui se montrent très stables à hautes températures.
De nouvelles compétitivités
Ces exemples illustrent un monde en fort développement, prometteur de marchés encore insoupçonnés. Thierry Stadler constate une impulsion conjointe entre les attentes fortes des industriels, des exigences nouvelles des consommateurs et la prise de conscience des pouvoirs publics. Mais il rappelle : « Dans ce domaine de la bioéconomie, les efforts seront rémunérateurs si et seulement si les produits apportent de nouvelles propriétés fonctionnelles pour convaincre les industriels. On ne peut s’exonérer d’analyser, dès le début, leur cycle de vie complet. Il est nécessaire d’investir en R&D, il y a encore beaucoup à faire. Pour que la bioéconomie avance, que les nouvelles fonctionnalités soient utiles, que les cadres légaux soient adaptés, que la valeur ajoutée soit réelle… il est impératif que les divers ministères et secrétariat d’État concernés (Agriculture, Santé, Industrie…) travaillent de concert et en transversal, et que les producteurs rencontrent les industriels de la transformation. »
Un vaste champ reste donc ouvert pour le réseau de stations d’expérimentations horticoles Astredhor, à l’initiative de ces journées techniques sur les multifonctions des végétaux. Très optimiste, Thierry Stadler l’assure : « N’oublions surtout pas que nous parlons ici de nouveautés, de multiples valorisations possibles pour les productions végétales. Toutes ces recherches sont sources de nouveaux emplois et de nouvelles compétitivités potentielles pour nos entreprises, de même que pour nos territoires. »
Pour en savoir plus :
- Guayule et pissenlit versus hévéa : voir le dossier « Végétal multifonction : toujours beau, de plus en plus utile », dans Le Lien horticole n° 1102 de janvier-février 2021.
- Chaîne YouTube d’Astredhor (/a>s) pour retrouver toutes les interventions sur la thématique du « végétal multifonction ».
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